Natacha Perat : « Nous voulons être la vitrine d’une agriculture locale à taille humaine »
« Nous voulons être la vitrine d’une agriculture locale à taille humaine »
- Natacha Perat, vous êtes la directrice de la Foire de Libramont qui va revenir cet été après deux ans d’absence. Les visiteurs doivent-ils s’attendre à des changements ?
Oui et non. L’âme de la Foire de Libramont n’aura évidemment pas changé : rencontres, découvertes, échanges dans une ambiance conviviale,… Tous les ingrédients de la foire seront là.
En même temps, on ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé en deux ans. Agriculteurs et consommateurs, tous les citoyens, ont senti l’impact des crises, climatiques, économiques, énergétiques, et maintenant la guerre, jusque dans leurs champs ou leurs assiettes. On ne peut pas revenir « comme si de rien n’était ».
Nous avons profité de cette pause forcée pour aller au bout des questions que nous nous posions depuis longtemps. De ces réflexions sont sorties deux décisions structurantes. D’une part, nous devenons une coopérative à finalité sociale pour que notre organisation intègre tous ceux qui font la foire et en bénéficient. D’autre part, nous voulons faire de ce plus grand événement agricole belge, la plus grande manifestation agricole durable en Europe.
- La Foire revient en pleine guerre en Ukraine avec des conséquences très concrètes pour l’agriculture. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela montre de manière brutale à quel point les agriculteurs ont un rôle stratégique dans notre société. Et c’est aussi le rôle de la Foire de mettre en évidence cette importance et de permettre à tous les acteurs d’être particulièrement visibles et de porter leurs messages pendant ces quatre jours. Cela rappelle aussi l’urgence de développer une agriculture locale, nourricière, la moins dépendante aux énergies fossiles et aux grands enjeux géostratégiques. Des solutions existent pour renforcer ce modèle agricole familial, circulaire, autonome, durable donc ! Elles seront au cœur de la Foire 2022.
« Assurer la sécurité alimentaire, aujourd’hui et demain »
- Vous mettez en évidence l’émergence d’un modèle agricole durable. Or on entend des voix s’élever dans le monde agricole pour remettre en question certaines exigences environnementales pour augmenter la rentabilité dans un contexte de risque de pénurie. Est-ce le bon moment pour devenir durable ?
Un modèle agricole durable est évidemment un modèle qui assure la sécurité alimentaire, aujourd’hui et demain. Comment développer une agriculture locale qui nourrit la population, apporte un revenu suffisant aux agriculteurs, restaure les sous-sols et la biodiversité, prend sa part dans les enjeux climatiques ? C’est tout cela, la durabilité. Le défi est de taille, mais nous n’avons pas le choix. Il faudra le relever.
- La Foire annonce soutenir une agriculture durable. Mais qu’est-ce qu’une agriculture durable pour la Foire ?
Nous voulons être la vitrine d’une agriculture locale à taille humaine, qui nourrit la population, apporte un revenu suffisant aux agriculteurs, restaure les sous-sols et la biodiversité, prend sa part dans les enjeux climatiques. Ce modèle agricole responsable est fait d’une palette de pratiques, et notre rôle est d’être la vitrine inspirante de toutes ces pratiques, recherches, doutes et interrogations.
La durabilité est souvent présentée comme cet équilibre entre les enjeux environnementaux, sociaux et économiques. En agriculture, il y a une dimension essentielle supplémentaire : la durabilité dans le temps. Comment fait-on pour que nos exploitations à taille humaine, localisées et au service d’un territoire trouvent des repreneurs qui inscrivent notre agriculture dans cette soutenabilité ? La transmission est un véritable enjeu quand on parle de développement durable en agriculture.
« Des innovations et des pratiques émergentes »
- Ne va-t-on pas retrouver à la Foire des entreprises dont l’intérêt économique n’est pas compatible avec un modèle agricole durable ?
Promenez-vous sur la Foire, vous ne trouverez aucun exposant qui vend des kits pour élevages industriels intensifs, ce genre d’élevage où l’agriculteur perd toute son autonomie et devient une sorte d’ouvrier de l’industrie agro-alimentaire. Vous ne trouverez pas non plus de produits chimiques nocifs. Ils savent qu’ils n’ont pas leur place à la Foire de Libramont.
Notre rôle, en tant que Foire, c’est de dire aux exposants que s’ils veulent être utiles, ils ont intérêt à très vite s’inscrire résolument dans l’avenir. C’est aussi cela, la responsabilité et donc l’impact concret d’une Foire comme la nôtre. Nous avons envoyé un courrier à tous les exposants en ce sens et les avons réunis pour voir avec eux concrètement comment répondre à cet impératif sociétal. Il y a un grand enthousiasme de leur part.
- Concrètement, comme cela va-t-il se marquer pendant la Foire 2022 ?
Vous verrez des exposants historiques profiter de la Foire pour montrer leurs innovations pour accompagner les agriculteurs dans leur transition (par exemple, des infrastructures en matière de compostage massif). Vous verrez aussi de nouveaux exposants qui apportent de nouvelles solutions, comme l’hydrogène. Vous découvrirez aussi à travers les stands des associations ou des universités par exemple des pratiques agricoles émergentes comme l’agriculture de conservation.
« Des burgers et des frites de chez nous »
- Vous annoncez travailler exclusivement avec des producteurs locaux. Est-ce vraiment le cas ?
Cela fait plusieurs années que nous revoyons progressivement la liste de nos fournisseurs avec l’objectif d’être 100% local et durable. Dès la Foire 2023, nous imposerons un cahier des charges à tous nos fournisseurs pour nous assurer que tout ce qu’on mange et tout ce qu’on boit sur la Foire soit exemplatif du modèle agricole qu’on soutient.
Cette année, tous les burgers vendus dans les aubettes proviendront de trois éleveurs locaux et es frites seront faites à partir de pommes de terre cultivées en province de Liège. Nous voulons aussi que la main d’œuvre dans ces aubettes soit locale. D’autres changements seront attendus en 2023.
- Les enjeux climatiques existent déjà depuis des années Vous décidez aujourd’hui d’organiser la Foire autour de la durabilité. Pourquoi faire ce choix seulement maintenant ?
Des initiatives avaient bien sûr déjà été prises, notamment dans le choix des thèmes (« Qui nourrira les Villes demain ? »), des conférenciers Bertrand Piccard ou Steven Ware, par le lancement de generative alliance. Mais c’est vrai que cela pouvait paraître comme périphérique au cœur de notre métier. Ces deux dernières années, vu l’ampleur des enjeux, nous sommes allés jusqu’au bout de nos réflexions pour affirmer notre ambition de manière beaucoup plus claire et au cœur de notre métier.
« Coopérateur, pour s’engager avec la Foire »
- Vous annoncez aussi la mutation de la Foire en coopérative à finalité sociale. Sentez-vous un intérêt ou un engouement de la part de futurs coopérateurs ?
L’appel à devenir coopérateurs a été lancé officiellement au lendemain de notre assemblée générale du 28 avril 2022. Nous savons déjà que nombre de nos compagnons de route, mais aussi des acteurs plus institutionnels, attendaient pour nous rejoindre dès que possible. La Foire de cet été constituera également un moment-clé : nos visiteurs, citoyens, agriculteurs, membres d’ONG ou acteurs économiques, … pourront décider de nous rejoindre.
- Quel est l’intérêt de devenir coopérateur de la Foire ?
Il y a de multiples raisons ! Parce que l’on est déjà impliqué via les cercles qu’on appelait avant commissions et qu’on participe déjà ainsi à la préparation de la Foire en terme de thèmes, de sujets à mettre en avant, … Devenir coopérateur dans ce cadre-là, c’est formaliser un engagement déjà présent.
Cela peut aussi être parce que l’on tient à la Foire, au rôle symbolique et concret qu’elle joue. Devenir coopérateur est alors une manière de marquer cet attachement Cela peut être une façon de s’impliquer dans les grandes orientations de la Foire.
La seule raison pour laquelle il ne faut devenir coopérateur de la Foire, c’est si l’on vise un enrichissement autre qu’intellectuel : les plus-values sont interdites par nos statuts. Aucun dividende ne sera distribué.
- La création d’une coopérative, n’est-ce pas aussi une façon de plus d’aller chercher de l’argent ?
Nous espérons lever 250.000 euros via l’appel aux coopérateurs. Ce montant levé, nous voulons le consacrer en priorité au financement de cette ambition via des investissements en matière de développement durable. Ce sera une manière très concrète et symbolique de faire le lien entre l’implication de nos coopérateurs et notre objet social.